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LE CONTEXTE DE LA SPIRITUALITE FRANCAISE AU XVIIe SIÈCLE



Le dix-septième siècle français, tout comme le seizième siècle espagnol, marque un sommet, un âge d'or. Il y a une concentration d'auteurs spirituels, d'écoles de spiritualité qui ont encore une influence aujourd'hui.

Pour nous, au Québec, la spiritualité des débuts de la Nouvelle France est une extension, une prolongation en terre d'Amérique de l'esprit des grands maîtres spirituels français du XVIIe siècle.

Dans le XVIIe siècle, il y a une courbe d'évolution de la spiritualité qui se développe en trois périodes.





Le XVIIème siècle français, tout comme le XVIème siècle espagnol, marque un sommet, un âge d'or dans l'histoire de la spiritualité chrétienne. On y trouve des maîtres spirituels en grand nombre dont plusieurs ont encore une influence aujourd'hui. C'est ce qui faisait dire à Henri Brémond que la spiritualité chrétienne est salésienne sans le savoir, et, pourrions-nous ajouter dans la même veine, bérullienne, à plusieurs titres. Au Canada,.la spiritualité des débuts de la Nouvelle-France est une extension, une prolongation en terre d'Amérique de l'esprit des maîtres spirituels français du XVIIe siècle.

Au XVIIe siècle, la spiritualité en France connaît d'abord une période d'essor de 1598 à 1629. Cette période de créativité spirituelle et pastorale fait suite à une époque troublée par les guerres de religion et la Ligue (1587-1596) auxquelles met fin Henri IV par l'Edit de Nantes en 1598. Elle va jusqu'à la mort de Bérulle en 1629 sous Louis XIII et Richelieu. Par la suite, le renouveau catholique s'épanouit et s'implante sur une large échelle de 1629 à 1660 : nouvelles fondations, institution des séminaires par saint Vincent de Paul en 1642, Monsieur Olier en 1642 et saint Jean Eudes en 1643 etc. Cette période couvre la fin du règne de Louis XIII et la régence d' Anne d'Autriche. Après 1660 l'élan créateur ralentit de plus en plus et commence une période de querelles qui se solde par une décadence de la spiritualité et un repli de la mystique justement désigné par le Père Cognet " le crépuscules des mystiques". La spiritualité catholique perd le pas. Hypothéquée par le jansénisme et la querelle Fénélon-Bossuet, la spiritualité s'enferme dans la répétition et l'esprit de chapelle. Du côté de l'Ecole francaise les disciples codifient de plus en plus les inspirations de base les rétrécissant par le fait même. C'est cette image un peu guindée que bien des contemporains gardent des maîtres du XVIIe siècle français.







1. Le renouveau catholique en France

1.1 Rappels historiques

a) Guerre de religion ou civile, 1563-1593.

C'est un peu à l'image de ce qui se passe actuellement en Irlande du nord. Cette période se termine par la conversion du roi Henri IV. Ce sont des guerres fratricides, des guerres de familles les unes contre les autres. C'est une période dure. Par exemple, le massacre des protestants huguenots la nuit de la saint Barthélémy, le 24 août 1572.

L'atmosphère est tendue. La misère physique et économique est importante. Le pays est dévasté et il y a des famines. Il y a un aspect politique dans ces guerres de religion.

b) La Ligue, 1587-1596

C'est l'oeuvre des nobles et des seigneurs qui vont se liguer pour arracher l'autorité au roi. Et c'est l'oeuvre de Mazarin et de Richelieu d'imposer l'autorité du roi. Louis XIV dira: "La loi, c'est moi". Son objectif, c'est: un roi, une loi, une foi.

c) L'Edit de Nantes, 1598

Il donne droit de cité aux protestants en France. Certaines places fortes leur sont concédées pour qu'ils puissent y demeurer.

A la fin de son règne,en 1585, Louis XIV annule l'édit de Nantes qui avait été proclamé par le roi Henri IV en 1598 et les huguenots deviennent hors-la-loi. On assiste à une montée de l'absolutisme royal en France.

d) Galilée, 1564-1642

e) Assassinat d'Henri IV, 1610

Louis XIII lui succède. C'est d'abord la régence de sa mère, Marie Médicis avec Richelieu comme Ministre de 1628 à 1642. Puis Louis XIV lui succède et c'est encore une régence, celle de sa mère, Anne d'Autriche de 1643 à 1661 sous la conduite de Mazarin . Le règne direct de Louis XIV commencera en 1661 pour se terminer en 1715.

1.2 Agents de renouveau catholique en France

Dans la France du XVIIe siècle c'est très différent de l'Espagne du XVIe. Le renouveau catholique en France sera l'oeuvre d'un petit groupe de personnes appelé le "Milieu dévot" (sans sens péjoratif).

Ce groupe est très apostolique. Il a saisi la misère spirituelle, morale et matérielle du royaume de France et forme consciemment le projet de renouveler le pays et le royaume. Ce groupe est, dans l'Histoire de la spiritualité, un des plus beaux exemples d'une pastorale pour sensibiliser le milieu.

En France à cette époque, la pratique était basse et l'ignorance religieuse, grande. Ils ont fait preuve de clairvoyance et d'efficacité en fait de pastorale.

Ce Milieu dévot comporte surtout des professeurs de la Sorbonne, théologiens et intellectuels comme Duval et Gallemant. Aussi, des prêtres zélés comme Bérulle, Vincent de Paul, M. Bourdoise, François de Sales, évêque de Annecy-Genève et d'autres.

De plus, il y a des Capucins, communauté nouvelle très dynamique en France, des Chartreux comme Don Beaucousin qui a eu beaucoup d'influence.

Ce sont des groupes de personnes qui se connaissent et se visitent. Leur lieu de rencontre était la résidence de Madame Barbe Acarie, cousine de M. de Bérulle qui deviendra plus tard carmélite sous le nom de Marie-de-l'Incarnation. C'est une mystique.

Madame Acarie est l'origine de l'introduction du Carmel thérésien en France et c'est Bérulle qui ira, en 1604, chercher des carmélites en Espagne dont Anne de Jésus, la compagne infatigable de Thérèse.

C'est donc l'action d'un petit groupe zélé et efficace. Voir le volume: La belle Acarie, du Père Bruno de Jésus-Marie.

1.3 Les instruments utilisés

1.3.1 Premier instrument: la réforme intérieure

Les initiateurs de la restauration catholique en France au XVIIe siècle ont pris conscience que, face aux protestants huguenots fervents, les catholiques devaient se rapprocher de l'Evangile, se convertir, au lieu de nier la situation de déchéance du catholicisme dans le royaume. C'est une prise de conscience des maux qui existent et de la nécessité d'une réforme qui s'attaque à la racine même de ces maux.

Les efforts de renouveau intérieur se feront en commençant par le haut (les évêques et les prêtres) pour entraîner les fidèles. Cette façon de faire reflète une société et une Eglise très hiérarchisée comme elles l'étaient toutes les deux à l'époque. Elle va dicter les réalisations concrets qui vont d'abord viser la nomination des évêques, le développement d'un sens pastoral en les amenant à la résidence dans leur diocèse, puis pour les prêtres elles s'articuleront autour de la formation "l'état ecclésiastique", comme on disait à l'époque, dans des séminaires selon le voeu du Concile de Trente et enfin pour les fidèles on développera divers moyens dans le domaine de l'éducation de la foi comme la prédication de missions, l'accompagnement d'une élite de laïques engagés dans diverses confréries et l'insistance sur l'exigence d'authenticité dans la vie de tous les jours.



La réforme du clergé

L'Eglise était étouffée par le concordat qui la liait au roi et aussi par le Gallicanisme qui donnait au roi de France des droits égaux à ceux du pape pour nommer les évêques.La réforme du clergé se fait dans la perspective du concile de Trente. Dans la France de cette époque, on avait une conception pyramidale de l'Eglise: pape et roi, évêques, prêtres et peuple. Il faut donc améliorer la vie des prêtres pour améliorer celle du peuple. Le concile de Trente était terminé depuis 1563 et il a fallu attendre cinquante ans avant que soient promulgués ses décrets, en France. En effet, à cause de l'opposition du Parlement, ceux-ci ne seront promulgués qu'en 1614. La réforme passe par l'acceptation du concile de Trente d'abord.

Puis, on s'attaque à la mise sur pied des séminaires demandés par le concile pour la formation des candidats au presbytérat. Après quelques essais infructueux, ceux-ci prennent forme à partir de 1642 sous l'action de Vincent de Paul, de Jean-Jacques Olier et de Jean Eudes. Voir mon article dans Pastorale-Québec.

Naissent pendant cette période de nouveaux regroupements de prêtres séculiers tels:

Les Prêtres de l'Oratoire fondés par le cardinal de Bérulle en 1611.

Les Prêtres de la Mission ou Lazaristes fondés par saint Vincent de Paul en 1625. Ils sont fondés à Saint-Lazare, d'où leur nom.

Les Prêtres de Saint-Sulpice fondés dans la paroisse Saint-Sulpice de Paris, en 1642, par Monsieur Jean-Jacques Olier qui fut d'abord un abbé de cour à la vocation peu soucieux de sa vocation de pasteur et qui se convertit.

La Congrégation de Jésus et Marie, ou Eudistes fondés en 1643 par saint Jean Eudes. Il avait été disciple de Bérulle et avait vécu vingt ans à l'Oratoire.

La situation du clergé était déplorable. En 1620, en France, il y avait cent vingt-sept diocèses et à la tête de ces diocèses on comptait douze évêques acceptables, une autre douzaine de mécréants et d'indignes. Les autres vivent presque toujours en dehors de leur diocèse se contentant d'en collecter les revenus. Ils font partie de la cour du roi et y consacre leur temps et leurs énergies. En ce qui regard les prêtre, la situation n'était plus rose. Il y en avait cent mille prêtres environ, soit un par quinze personnes. Des paroisses en comptaient trente à quarante. C'était la course aux revenus à cause du chômage et du manque de travail pour les prêtres. Le régime bénéficial était en grande partie responsable de cette situation.



1.3.2 Deuxième: la charité ou souci des pauvres.

Les milieux du renouveau vont réaliser que l'évangélisation et la prédication ne peuvent aller loin si le peuple est dans la misère. Une priorité alors sera donnée à la lutte contre la misère.

Vincent de Paul, avec Louise de Marillac, fondent les Petites soeurs de la Charité. Ce sera la première communauté non cloîtrée.

La misère matérielle était extrême à cause de la guerre. Vingt mille églises et deux mille maisons religieuses étaient détruites. Le peuple était sous-alimenté. 90% des femmes et 75% des hommes étaient analphabètes. 30% à 40% mouraient de faim. L'espérance de vie d'un paysan était de vingt à vingt-cinq ans. Celle du noble était de quarante à quarante-cinq ans. La mortalité infantile était de 50%. Il y avait de dix-sept à vingt millions d'habitants en France à ce moment.

1.3.3 Troisième: la réforme des ordres religieux

Il s'agit d'une réforme des communautés existantes et de la fondation de nouvelles communautés plus adaptées aux conditions de la pastorale de l'époque.

En 1613, les Bénédictins à Saint-Germain de Paris se réforment. De là, la réforme est propagée à toutes les abbayes de France par le décret du roi en 1622.

Les religieuses de Port-Royal en 1609 avec Angélique Arnauld.

Les Trappistes , une reforme de Cisterciens rattachés à saint Bernard, commencée en 1664 avec l'abbé Rancé, un converti.

Du côté des ordres mendiants, il n'y a pas de réforme, mais une action dynamique des Capucins.



Des agents de renouveau motivés

Dans la France du XVIIe siècle, le renouveau démarre beaucoup plus tardivement qu'en Espagne et en Italie à cause du chaos politique qui domine la seconde moitié du XVIe siècle et de l'opposition du Parlement à la promulgation des décrets du Concile de Trente en France. Ceux-ci, en effet, ne seront reçus qu'en 1614. Ce retard va accentuer l'urgence d'un renouvellement et permettre l'éclosion d'une créativité exceptionnelle. A l'inverse de l'Espagne du XVIème siècle, où nous découvrons une vitalité religieuse diffuse un peu partout dans la société, une sorte de Moyen-Age continué, fruit de l'unité de foi et de l'unité politique, le renouveau catholique en France sera l'oeuvre d'un petit groupe de personnes.

Ce groupe se caractérise par ses motivations apostoliques et pastorales d'abord et avant tout. Il a saisi la misère spirituelle, morale et matérielle du royaume de France et il s'est senti interpellé à renouveler le pays et le royaume. Ce groupe est tout à fait remarquable, dans l'histoire de la spiritualité, par sa lecture pastorale des besoins de la communauté chrétienne, sa recherche clairvoyante des moyens adaptés à la situation et son implication efficace sur le terrain.

Le but poursuivi peut se formuler en deux mots : la réforme intérieure. Ces agents du renouveau ont saisi que le défi lancé aux catholiques par les calvinistes est avant tout d'ordre spirituel i.e. de l'ordre de la pratique de la vie chrétienne. Ils vont donc convier les catholiques à une vie chrétienne prise au sérieux. Pour eux, la controverse ne sert à rien sur le terrain de la pratique de la vie chrétienne. Face aux protestants hughenots fervents, les catholiques doivent se rapprocher de l'Evangile, se convertir au lieu de nier les maux de l'Eglise. Le groupe prend conscience que les maux sont réels et que la solution passe par une réforme en profondeur. Leur action marque un tournant et annonce la pastorale moderne. Le renouveau catholique en France produira des fruits durables sur le plan religieux, même si les projets de restauration au plan politique avorteront face à Richelieu.

Qui sont ces gens du "milieu dévot"? Ce sont d'abord des professeurs de la Sorbonne, théologiens et intellectuels, comme André Duval , des prêtres zélés comme le jeune Bérulle, François de Sales, lors de ses passages à Paris, Gallemant. curé d'Aumale. De plus, il y a des Capucins, communauté nouvelle très dynamique (en France depuis 1573), le plus célèbre étant Benoît de Canfeld , des laïcs comme Michel de Marillac, Quintanadoine de Brétigny, René Gauthier et surtout le chartreux Dom Beaucousin, qui, de son parloir, a eu beaucoup d'influence sur le groupe.

Leur lieu de rencontre, c'est la résidence de Madame Barbe Avrillot (1566-1618), épouse de Pierre Acarie, cousine de Bérulle et qui deviendra plus tard carmélite sous le nom de Marie de l'Incarnation. Peu d'années après son mariage (à partir de 1588), elle expérimente des phénomènes mystiques où le contenu imaginaire est peu développé. On désigne volontiers ce groupe de personnes sous le nom de "cercle Acarie". Ce sont des personnes qui se connaissent, se visitent et partagent leurs expériences. A des degrés divers, on les retrouve impliquées dans des réalisations concrètes (directement ou à travers des disciples). Il se dégage un esprit commun, des perceptions semblables et une volonté d'action commune qui nous autorisent à voir dans ce "milieu" le creuset où se mûrit une spiritualité dont le génie de Bérulle développera le vocabulaire et l'expression théologique.



Les instruments développés

Il y a un lien direct entre la lecture de la situation pastorale et les initiatives qui au fil des années vont voir le jour. On peut parler sans exagération d'instruments adaptés et de réalisme pastoral. Toutes les initiatives poursuivent le même but, mais elles vont viser des secteurs plus limités ou plus spécialisés.

Le premier champ d'intervention se situe dans la ligne de l'éducation de la foi. Cette option pour la formation chrétienne va se traduire différemment chez les uns et chez les autres, mais elle accompagne les initiatives de plusieurs maîtres de l'Ecole française. "Le coeur de la personnalité de Bérulle est sa vocation de maître spirituel" dira Fernando Guillen Preckler . Bérulle disait lui-même "Régir une âme, c'est régir un Royaume". Les missions intérieures prendront forme à partir de 1626 avec l'Association des missionnaires de saint Vincent de Paul qui deviendra en 1633 la Congrégation de la Mission (Lazaristes) . Saint Jean Eudes suivra, puis saint Grignion de Montfort à la fin du siècle. Ces missions diffèrent de celles des autres pays latins en ce qu'elles n'ont pas d'abord un objectif pénitentiel. Elles veulent présenter les rudiments de la foi dans les campagnes et lutter contre un des principaux maux de l'Eglise de France : l'ignorance de la population. Elles ont eu pour effet de susciter la créativité pour exprimer dans des dévotions et des images comme celle du Coeur de Jésus et de Marie les thèmes de l'Ecole française.

Le deuxième champ d'intervention est la réforme du clergé. Bérulle qui pouvait prétendre à une brillante carrière séculière choisit de devenir prêtre et de vivre son "état de prêtrise" à fond après sa retraite de Verdun en 1602. Il fondera, en 1611, une congrégation de prêtres sans voeux en s'inspirant de l'oratoire romain de saint Philippe Néri. Dans sa pensée, ils seront liés à l'évêque comme les jésuites le sont au pape. Ils supporteront les évêques dans la réforme de leur clergé, ils prendront la direction de séminaires , ils donneront des retraites et, plus tard, il dirigeront des collèges. Saint Vincent de Paul inaugure en 1633 les conférences du mardi auxquelles participe Olier et Bossuet et en 1642, il transforme son séminaire des Bons-Enfans en séminaire d'ordinands. Olier, quant à lui, fonde en 1642 le séminaire de Saint-Sulpice puis la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice qui se consacrera à la formation des prêtres déjà en fonction, de ceux qui veulent prendre leur charge pastorale au sérieux et des aspirants à l'état ecclésiastique . Saint Jean-Eudes oeuvrera sur ce terrain à partir de 1643 avec les Prêtres de la congrégation de Jésus et de Marie (les Eudistes).

La réforme du clergé se fait dans la perspective du concile de Trente: amener les évêques et les prêtres à exercer dans les faits leur charge pastorale (la "cura animarum"), mais surtout leur faire découvrir que l'état de prêtrise exige la sainteté tout autant que la profession religieuse. Bérulle s'en explique dans une lettre qui mérite d'être citée . Au début de l'Eglise, dit Bérulle dans cette lettre, la sainteté existait chez les clercs, mais au cours de l'histoire, petit à petit, elle a quitté en grande partie le clergé pour être réservée aux religieux. Puis, par la suite, la science théologique s'en est allée dans les académies, alors que l'autorité était réservée aux prélats. Le projet de Bérulle c'est de remettre ensemble ce qui fait partie de l'état de prêtrise. Ensemble Dieu les avait jointes , mais l'esprit de l'homme les a divisées. Ces trois qualités: autorité (guide du peuple de Dieu), sainteté, doctrine doivent être réunis à nouveau .Cette lettre donne en un résumé saisissant l'inspiration de tous les réformateurs du clergé du XVIIème siècle français.

Le troisième champ d'intervention touche les congrégations religieuses. Tout en soutenant des réformes ,les maîtres spirituels du XVIIème siècle français vont mettre sur pied de nombreuses congrégations nouvelles.

Ces nouvelles congrégations sont presque toutes orientées vers l'action. Une autre de leurs caractéristiques est la souplesse des structures. Saint Vincent de Paul disait aux Filles de la Charité "Mais s'il se présentait parmi vous quelque esprit brouillon, idolâtre, qui dit:'Il faudrait être religieuse, cela serait bien plus beau', ah, mes soeurs, la Compagnie serait à l'extrême onction ...car qui dit religieuse dit une cloîtrée , et les Filles de la Charité doivent aller partout". Du côté des prêtres, même son de cloche: les congrégations de prêtres ne veulent pas faire la profession religieuse mais exploiter les richesses de leur "état de prêtrise". Le Père Bourgoing, deuxième successeur de Bérulle à la tête de l'Oratoire, expliquera dans sa Lettre-Préface de l'édition des Oeuvres de Bérulle en 1644 que le sacerdoce "ne dépend pas de l'action de celui qui le reçoit ainsi que l'état religieux, mais de l'action de Jésus-Christ même et de la consécration qu'il opère. C'est pourquoi la perfection de la vie sacerdotale, selon l'exemplaire de celle de Jésus et à l'imitation de la vie apostolique (décrite par Denys), consiste en l'état plutôt qu'au voeu".



1.4 Les influences spirituelles

1.4.1 Celle de l'école rhéno-flamande

Les mystiques du nord. Elle est surtout composée de Dominicains. C'est une école de mystique plutôt abstraite qui s'inspire du Pseudo-Denys l'Aréopagite. Elle se prolonge dans la "mystique abstraite du capucin anglais Benoît de Canfeld qui domine pendant tout le début du siècle, au temps de la jeunesse de Bérulle notamment. Anne de Jésus, la compagne de Thérèse d'Avila, arrivée en France en 1604, se plaint que Jésus-Christ n'est pas connu dans ce pays (voir plus loin) et François de Sales reproche à cette tendance de cheminer par les sommets et de ne pas être à la portée des gens ordinaires. C'est pourquoi, il travaillera toutes sa vie auprès des laïques les invitant tout autant à la sainteté que les religieux et l'élite, car pour lui l'appel à la sainteté est universel peu importe l'état de vie: mariage, veuvage, célibat consacré.

1.4.3 Celle de l'école carmélitaine

Les carmels fondés par saint Thérèse d'Avila sont introduits en France en 1604 par les deux compagnes de Thérèse. Paris, Dijon, Pontoise. Les premières espagnoles venues en France ne s'adaptaient pas bien et se sont ensuite en allées en Hollande, une fois le carmel fondé. C'est plus l'influence de Thérèse d'Avila que celle de Jean de la Croix, à cause de son oeuvre et de ses écrits qui furent publiés très tôt.



L'école rhéno-flamande

Les Mystiques du Nord exercent une fascination et un attrait sans bornes au début du XVIIème siècle. Dans le "milieu dévot", Mme Acarie et le jeune Pierre de Bérulle entrent facilement dans le mouvement de la spiritualité rhéno-flamande. François de Sales, quant à lui, se trouvera mal à l'aise dans cette spiritualité et il lui reprochera son côté élitiste.

L'école rhéno-flamande est le plus beau fleuron de la "Wesenmystik", la mystique de l'essence. Les principaux représentants en sont Maître Eckhart (1260-1327), Jean Tauler (1300-1361), Henri Suso (1300-1366). Leur lecture de l'expérience mystique s'inscrit dans le sillage de la théologie du Pseudo-Denys. Elle retient cet héritage à travers saint Albert le Grand. Ce courant précède la "Devotio moderna" qui lui substituera une spiritualité plus psychologique, plus affective et plus christologique.

Pour les Rhéno-flamands, l'union à Dieu qui est le but de l'expérience mystique pose une question que les descriptions nuptiales ne résolvent pas. En effet, comment deux réalités aussi différentes que Dieu, le Tout, l'Etre infini et l'homme (créé, limité dans le temps, enraciné dans la matière) peuvent-elles vraiment communiquer ensemble comme époux et épouse? Comment se fait l'assimilation à Dieu? La perspective adoptée par les Mystiques du Nord, notamment Maître Eckart, pose au point de départ , dans le fond de l'âme (Grundseele), une réalité, quelque chose (etwas) de caché, de divin, une étincelle de la divinité. Le processus de l'expérience mystique consistera à dégager ce qui empêche de voir la réalité qui est là. On favorisera les voies intellectuelles pour y arriver. Chez Tauler, le processus comportera trois échelons: la vie active où l'homme extérieur purifie ses comportements, la vie intérieure où l'homme de raison se purifie par l'éducation de l'intelligence et de la volonté et la vie essentielle où l'homme intérieur se laisse illuminer par la contemplation.



La spiritualité "abstraite"

La "Wesenmystik" qui insiste sur la contemplation de l'essence divine et sur les voies intellectuelles pour y parvenir sera poussée à l'extrême par un capucin anglais fréquentant le "milieu dévot": Benoît de Canfeld (1562-1610) qui publie une synthèse de sa pensée en 1609 dans un ouvrage intitulé: La Règle de perfection8 .On a qualifié la synthèse de Benoît de Canfeld de "spiritualité abstraite". Celui-ci , en effet, par rapport à la spiritualité rhéno-flamande, accentue le rôle de l'abstraction qui consiste à enlever ce qui fait obstacle à la manifestation de Dieu dans l'âme. Benoît de Canfeld privilégie le côté négatif du chemin vers Dieu qu'il envisage surtout sous l'angle de l'anéantissement qui va , pour lui, jusqu'à une extinction de toute activité consciente de l'âme dans le domaine sensible et dans celui de la volonté et de l'intelligence. L'union à Dieu s'accomplit au-dessus de toute notion et de tout concept. C'est une union directe et sans intermédiaire à l'essence divine. Le Père Cognet estime que dans cette vision on arrive à une sorte de "dépersonnalisation" des relations de l'homme avec Dieu9.



La spiritualité carmélitaine

A l'intérieur du "cercle Acarie", la vision canfeldienne rencontre peu à peu une autre influence. Des contacts sont établis par Monsieur Gallemant avec le Carmel thérésien d'Espagne. En 1601 paraît une traduction française des oeuvres de sainte Thérèse par Brétigny. Mme Acarie, au premier abord, est rebutée par cette mystique psychologique, mais, au même moment elle a sa vision de sainte Thérèse qui lui intime l'ordre d'implanter le Carmel en France. En 1604, Bérulle va chercher en Espagne six carmélites dont deux des compagnes de Thérèse: Anne de Jésus (à qui saint Jean de la Croix a dédié le Cantique spiritueL) et Anne de Saint-Barthélémy.

En contact avec la spiritualité canfeldienne, Anne de Jésus écrira , en 1605, quelques mois après son arrivée, ce mot révélateur: "J'ai soin qu'elles (les carmélites) considèrent et imitent N.S.J.C., car ici on se souvient peu de lui: tout se passe en une simple vue de Dieu. Je ne sais comment cela se peut faire. Depuis le séjour du glorieux saint Denis, qui écrivit la Théologie mystique, tout le monde a continué de s'appliquer à Dieu par suspension plutôt que par imitation. C'est là une étrange manière de procéder: en vérité je ne l'entends point".

On comprend la réaction d'Anne de Jésus. La spiritualité thérésienne a subi l'influence de la "Devotio moderna" à travers Francesco Osuna et Bernadino Laredo que Thérèse a fréquentés. Cette "Devotio moderna" a légué une orientation beaucoup plus psychologique et christologique à la spiritualité. On se souvient du mot de l'Imitation de Jésus-Christ, le chef d'oeuvre de la "Devotio moderna": "J'aime mieux sentir la componction que d'en savoir la définition". Thérèse d'Avila, de son côté, a vécu une expérience mystique où les grâces mystiques avaient un contenu imaginaire important. Sa mystique est "sensorialiste". Après avoir été tentée de suivre les Mystiques du Nord, elle a saisi le rôle de l'Humanité du Christ" comme seul chemin vers Dieu . Quant à saint Jean de la Croix, bien qu'il soit différent de sainte Thérèse dans son expérience spirituelle personnelle, il ne perdra jamais de vue le rôle du Christ, lui aussi. Son refus des intermédiaires que sont les sens et la connaissance intellectuelle pour atteindre Dieu le rapproche des Rhéno-flamands, mais son univers est différent: le processus d'abstraction est rejeté et l'union à Dieu est avant tout une union des volontés .

La spiritualité carmélitaine favorisera petit à petit une évolution dans le "cercle Acarie". Malgré les difficultés qui apparaîtront à l'occasion du Voeu de servitude, Bérulle a sûrement été marqué par cette influence.

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Notes

GUILLEN PRECKLER, Fernando, Bérulle aujourd'hui (1575-1975): pour une spiritualité de l'humanité du Christ, (Le Point Théologique, 25) Beauchesne, Paris, 1978, p.34.
La mission des lazaristes était essentiellement catéchétique.'Tout le monde est d'accord que le fruit qui se fait par la mission est par le catéchisme (I,429)." écrit Luigi MEZZADRI en citant saint Vincent de Paul dans Vincent de Paul (1581-1660), DDB, Paris, 1985, pp. 132-133.
cf Irénée NOYE, "Le projet de M. Olier pour les séminaires diocésains (1651)", dans La tradition sacerdotale, (Bibliothèque de la faculté catholique de théologie de Lyon, 7), Ed. Xavier Mappus, Le Puy, 1959, pp. 213-232. Introduction et texte.
Il s'agit de la Lettre 891 dans Claude DAGENS, Correspondance du Cardinal Pierre de Bérulle, vol. 3, Paris-Louvain, 1939 p.617.
Les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés à Paris se sont réformés en 1613 et de là la réforme s'est propagée à toutes les abbayes de France par un décret du roi en 1622. Les religieuses de Port-Royal les avait précédés en 1609 avec Angélique Arnaud. Plus tard, en 1664, la réforme gagnera les cisterciens avec l'abbé de Rancé.
cité par MEZZADRI, l.c. p.74.
cité par Pierre COCHOIS, Bérulle et l'Ecole française, (Maîtres spirituels, 31) Seuil, Paris, 1963, p.131.
8 Louis COGNET, La spiritualité moderne, t.3 *** de l'Histoire de la spiritualité, sous la direction de L. BOUYER, pp.244-273.
9. Ibidem pp.253-254.
Cité par GUILLEN PRECKLER, l.c., p.51.
L'Imitation de Jésus-Christ, livre I, c.1.
Cf Louis COGNET,, l.c. p.98.
Voir le chapitre XXII de sa Vie.
Voir le chapitre XX du deuxième livre de la Montée du Carmel sur le Christ et le chapitre IV du même livre sur l'Union d'amour.


Session sur les courants de spiritualité pour l'Internoviciat (région de Québec)



Hermann Giguère, professeur



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Mis sur le site le 22 janvier 2001



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